L’ère du plastique symbiotique a précipité l’Homme dans un nouveau rapport au vivant, une nécessité contrainte suite aux différents épisodes épidémiques de zoonoses qui se sont succédés à partir de 2020. La dichotomie Nature/Culture a laissé place à une cohabitation plus apaisée de l’espèce humaine avec les autres êtres sensibles. Dans cette nouvelle réalité, l’action des hommes participe à la régénération du biotope de la planète après des décennies de surexploitation.
Cette nouvelle relation Homme/Plastique interroge la place de la Nature et le devenir des hommes dans un contexte politico-environnemental incertain. L’ouvrage anthropologique “Eloge du plastique synthétique, la consommation contre l’Etat” revient sur l’épopée plastique de la décennie post-COVID. Son auteur s’attèle à mettre en exergue l’impact du marché plastique sur les effets de classes sociales et sur le budget des ménages. Il est également allé à la rencontre des “freeganeurs”, ces professionnels de la débrouille qui déstabilisent le développement de la filière professionnelle et l’acceptation du plastique symbiotique par une partie du grand public.
Dans ces travaux, il revient sur la vision idéalisée d’un monde productif où les biens de consommation s'inscrivent dans un cycle naturel et vertueux, qui ne concerne en réalité qu’une partie de la population : une classe aisée, plutôt urbaine qui s’était illustrée par la valorisation du vrac, du bio et des produits de saison avant 2020. Le reste de la population elle, entretient une relation plus conflictuelle avec le plastique. Un marché s’est même développé afin de tenter de réguler sa production, son utilisation, sa réutilisation et sa recyclabilité à l’échelle locale.
L’auteur nous propose une démonstration en 5 parties : le marché des “bons détritiques”, les nouveaux totems, le freeganisme, les mangeurs de plastique, le plastique et le politique ; afin d’apporter un regard réflexif sur l’impact de l’évolution des perceptions du plastique dans notre société.
Voici les principaux résultats présentés au sein de son ouvrage :
Le marché des “bons détritiques” :
En 2021, à l’image du marché des droits à polluer, les gouvernements ont mis en place celui des “bons détritiques” qui permettent à chaque individu de bénéficier de droits à consommer une certaine quantité de plastique par an. Un indice qui prend en considération différentes variables : pouvoir d’achat, sensibilité environnementale et consommation solidaire ; un principe de scoring qui permet à ceux dont l’empreinte carbone de leur mode de vie est faible d’accéder à l’utilisation du plastique au quotidien.
Les nouveaux totems :
Cet objet autrefois ordinaire, totem de l’âge d’or de la grande consommation, s’est illustré pendant COVID-19 comme une solution aux craintes de contamination des population à travers l’usage de produits prêt-à-jeter (masques et gants à usage unique) et/ou sur-emballés (produits industriels disponibles en supermarché). Ces objets devenus iconiques pendant le confinement/déconfinement ont également été investi par l’Art, provoquant une transfiguration du banal : le plastique est devenu noble pour les objets d’apparat du monde d’après. Une économie parallèle s’est même développée en réaction, notamment pour se procurer du plastique de seconde main encore plus précieux : les vieux emballages plastiques sont devenus le nouvel or synthétique, symbole nostalgique de la vie d’avant.
Le freeganisme :
Pour répondre à la demande, des professionnels du déchet ont mis en place une nouvelle filière d’approvisionnement de plastique. Son objectif ? Injecter dans l’économie du plastique de seconde main afin que chaque individu puisse avoir le droit de continuer à consommer du plastique synthétique. Un eldorado qui réserve son lot de dérives : malgré la volonté de relancer l’économie en 2021 tout en valorisant le déchet plastique, cette initiative a entraîné une surproduction et surconsommation de plastique dès 2022. Malgré sa généralisation, le freeganisme a été décrété pratique illégale cette même année. Un contre-pouvoir qui déstabilise l’ordre établi et les différentes stratégies politiques visant à faire du plastique symbiotique une priorité économique.
Les mangeurs de plastique :
Les initiateurs de ce mouvement ont réinventé le “forage urbain”, la “plongée en containers” et le glanage de centre-ville afin d’alimenter les différents réseaux parallèles du plastique, comme par exemple, celui des “mangeurs de plastique”. Afin de réduire leur empreinte carbone, les individus peuvent acquérir une unité de gestion du plastique à domicile. Une poubelle intelligente où microorganismes et lombrics oeuvrent à transformer la matière plastique en déchet durable et propre. Prendre soin de cet écosystème offre l’assurance de “bons détritiques” supplémentaires pour l’année suivante. Pour s’assurer une production suffisante, notamment les trois premières années, les individus doivent être en capacité de se procurer une quantité de matière première suffisante. Les freeganeurs demeurent les seuls à proposer ce service à un prix accessible.
Le plastique et le politique :
L’utilité socio-environnementale des freeganeurs est assujetti à controverses. Nettoyer la vie urbaine de ses déchets plastique, en faire circuler des quantités importantes pour que les ménages puissent les valoriser et les échanger semble être positif. Cependant, cette production offre l’accès, l’année suivante, à la consommation de nouveau au plastique de première main. Les études réalisées dès 2025 ont démontré que la production de plastique synthétique était deux fois supérieure à celle de la transformation du plastique de seconde main. En cause? La flambée du cours du marché des “bons détritiques” liée à la demande croissante des antiquaires et des professionnels du luxe qui, en valorisant les plastiques rares et souvent très polluants engendrent une augmentation de la demande de plastiques synthétiques : une nouvelle valeur refuge en temps de crise.
En guise de conclusion, l’auteur de l’“Eloge du plastique synthétique, la consommation contre l’Etat” invite le lecteur à la prise de recul face au plastique symbiotique. Le plastique, qu’il soit objet d’art, déchet sous-valorisé ou espoir écologique est devenu le double de la société post-COVID : à la fois planche de salut et symbole du cercle vicieux provoqué par le maintien d’une économie de marché qui ne semble plus correspondre aux réalités sociales, politiques et environnementales.
La période dans laquelle nous vivons est caractérisée par l’impact de l’homme et du système économique qu’il a créé sur l’environnement. On l’appelle anthropocène ou capitalocène. Nous pourrions tout aussi bien l’appeler plasticocène, tellement ce matériau symbole de notre société de consommation et du confort est partout.
Kelly Jazvac nous le montre avec ses “plastiglomerate”, rochers d’un nouveau genre trouvé sur la page d’Hawaii. Ces pierres sont composées de sédiments, de sable, de roches… et de débris plastiques qui les maintiennent ensemble.
Mandy Barker moque l’absurdité de cette omniprésence en présentant les micro plastiques marins comme autant de nouveaux organismes, s’inspirant ici de Vaughan Thompson, “découvreur” du plankton.
Le plastique est le nouveau cheval de bataille de tous les designers, qu’ils soient spéculatifs ou non. Algues, lin, matériaux auto assemblés, tout est bon pour remplacer la chimie et rendre nos contenants biodégradables. Ari Jonsson a ainsi créé une bouteille d’eau à base d’algues rouges qui se décompose quand elle se vide… et qui se mange.
Mais nous sommes encore loin de quelque chose de scalable et d’industrialisable. Mais est-ce vraiment souhaitable ? Ne faut-il pas tout changer un système qui s’appuie sur une industrie tout aussi lourde que sa logistique ?
L’architecte William McDonough et le chimiste Michael Braungart prônent eux le “cradle to cradle” (du berceau au berceau), un système où le design et la science s’allient pour permettre de créer et recycler à l’infini.
Dans cette théorie, le déchet prend une toute autre signification. Il devient nutriment technique ou biologique. Les membres du studio Forma Fantasma s’en sont-ils inspirés pour leur collection Ore Streams, mobilier informatique faits à partir… de déchets informatiques ?
L’hyperlocal et la circularité deviennent la norme. On extrait localement. On fabrique localement. On distribue localement. La smart city est morte. Vive la smart grid, mettant en connexion les besoins et ressources d’une maison, d’un immeuble, d’un quartier.
De nouveaux ecosystèmes régionaux se créent, à l’image du projet Algae Geographies. Ce projet “cherche à valoriser les zones humides comme de nouveaux incubateurs de bio-matériaux cultivés localement. Le projet a évolué vers la création d'une plateforme transnationale réunissant des partenaires clés issus du bassin méditerranéen afin d’identifier des liens fertiles encore inexistants entre biomatériaux, usagers, fabricants et les méthodes de production qui leurs sont associées. En combinant le design et la biologie, Algae Geographies propose de nouveaux modèles de production circulaire grâce à une biofabrication décentralisée.”
Il n’y a pas que la chaîne de valeur traditionnelle du plastique qui soit impactée par ces révolutions. Ses fonctions aussi. Ou, pour être plus précis, ses fonctionnalités. Le plastique et le packaging de demain seront fonctionnalisés ou ne seront pas.
Will Carey et Adam Reineck ont imaginé un matériau à la fois produit et packaging. En s’appuyant sur la biologie synthétique, ils ont créé un organisme qui se transforme en un matériau rigide et waterproof au contact de la lumière. Au contact de l’eau, il libère des composants parfumés et des principes actifs, transformant l’eau en boisson probiotique.
Les matériaux se font interfaces à impact positif, avant, pendant et après. Ce qui nous entourent nous protègent et nous régénèrent. Imaginez un hopital qui soigne aussi l’environnement en capturant le C02… Ca existe déjà au Mexique. Et cela risque de se généraliser avec l'ecoGranic, technologie intégrée dans des pavés de béton pour leur permettre d'éliminer les polluants atmosphériques grâce à un processus similaire à la photosynthèse des plantes.
L'anthropocène est l'ère de l'impact négatif de l'homme sur son environnement. St si nous pouvions modifier la nature, positivement cette fois ? Comment collaborer avec elle ?
Avec son projet "Designing for the sixth extinction", Alexandra Daisy Ginsberg a voulu montrer une autre vision du futur, dans lequel la perte de la biodiversité est compensée par la création, en laboratoire, d’une nouvelle biodiversité synthétique. Ces nouvelles espèces, plus adaptées à l’anthropocène rendraient des services écosystémiques, en limitant ainsi la perte de la biodiversité originelle.
Comme ce biofilm fictif auto-reproducteur recouvrant les surfaces des feuilles pour pour piéger et fixer les particules en suspension nocives dans l'air. A l’automne, les particules seront biodégradées par la faune microbienne des sols en même temps que les feuilles mortes.
Inventer le futur du plastique c’est inventer un monde symbiotique et circulaire, un monde où la nature est notre inspiratrice et une interface vivante, augmentée et sublime.
Diplômé de l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI-Les Ateliers, accréditée par la Conférence des Grandes Écoles) en partenariat avec l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Guillian est designer. Il dirige Big Bang Project, une agence qui fait collaborer designers, ingénieurs et scientifiques pour faire émerger des solutions innovantes et bio-inspirées adaptées aux modes de vie de demain. Par ailleurs, il est enseignant-chercheur et co-responsable du Master of Science Nature-Inspired Design à l’ENSCI-Les Ateliers, enseignant à Sciences Po Paris et conférencier.
le site de Big Bang project