En Anthropologie, le travail représente les diverses manières inventées par l’homme pour agir sur son environnement naturel et en extraire les moyens matériels de son existence sociale (chasse, agriculture, etc.). Le travail humain peut ainsi se définir comme une activité individuelle ou collective, intentionnelle et non instinctive, s’exerçant sur la nature à travers une succession d’opérations ayant pour but d’en disjoindre certains éléments matériels permettant d’assouvir des besoins humains : dans leur état naturel (consommation de fruits crus, par exemple), ou après des transformations d’état ou de forme imposée par l’Homme (la fonte du fer pour fabriquer des outils et des armes).
La richesse se mesure en argent et le travail peut se présenter comme une source de valeurs d’usage et d’échange. Il va permettre d’illustrer les rapports de coopération et de domination de l’Homme sur la nature, mais également des hommes entre eux. L’observation du système productif permet de comprendre l’organisation toute entière d’une société : contrôle des ressources, rapport de parenté, de politique ou du religieux. En ce sens, le travail met en scène les rapports sociaux : entre ceux qui contrôle les conditions et le résultat ; et ceux qui doivent produire pour faire partie de cette société.
Le premier épisode de confinement de 2020 a bousculé le modèle productif de nos sociétés occidentales et la dynamique de globalisation des échanges associée. Alors que certains travailleurs ont vécu la période du confinement télétravaillée comme une révélation (meilleure qualité de vie, plus de temps en famille, moins de temps dans les transports), d’autres ont été érigés au rang de travailleurs essentiels et, sur le front. Une première scission invisible s’était ainsi créée à la vue de tous, mais sans qu’elle inquiète l’opinion publique (entre ceux qui sont spatialement contraints et les autres). Telle une bulle hétérotopique où le logement est érigé en ultime sociofuge (lutter contre l’éco-anxiété liée à COVID-19), télétravailler représentait même l’espoir de s’émanciper progressivement de la société de consommation, en gagnant en autonomie. En ce sens, les discours prônés par le mouvement FIRE ou par les collapsologues trouvaient un nouvel écho auprès d’une population toujours plus large.
Dès 2026, l’intégration d’une expérience de travail augmentée par le phygital et le virtuel a participé à accélérer la dématérialisation du “bureau”, au profit d’une alternance de temps physiques, digitaux, phygitaux et virtuels, visant à assurer une continuité des invariants anthropologiques nécessaires au maintien de l’équilibre des salariés et surtout de la pérennité des entreprises. Les départements RSE de plusieurs grands groupes ont même créé un indice visant à mesurer la qualité de vie de ces nouveaux travailleurs. L’objectif était notamment d’assurer à chaque télétravailleur les éléments nécessaires à son bien-être afin de prévenir tout risque d’isolement (adaptation des cérémonies et des rites de passages professionnels, mise en place d’espaces digitaux ou virtuels permettant d’assurer les rituels ordinaires et le small talk, etc.).
Plus précisément, le télétravail désigne un nouveau mode d’organisation où l’exercice d’une activité s’effectue, en tout ou partie, hors des locaux de l’employeur, grâce aux technologies de l’information et de la communication (internet, téléphonie mobile, etc.). Par ailleurs, il ne suffit pas de travailler à distance (commerciaux ou les salariés délocalisés chez un client (sécurité, entretien)) pour appartenir à cette catégorie. C’est bien l’utilisation permanente de l’outil informatique qui explique l’appartenance à ce mode d’organisation. Le télétravail peut s’effectuer depuis le domicile, un télécentre, un bureau satellite, de manière nomade (lieux de travail différents selon l’activité à réaliser) ou bien encore au sein d’un espace partagé (coworking).
Les valeurs prônées par le télétravail sont encapsulées au sein d’une quête de sens néolibérale où les aspirations de la contre-culture ont permis de faire évoluer les contours du modèle capitaliste pour le rendre cohérent avec les aspirations collectives. Pour permettre cela, les croyances se sont invités dans le quotidien des télétravailleurs et ont donné lieu à l’apparition de groupes spécialisés (chamanes, prêtres) généralement associés à l’imaginaire des cultures traditionnelles. Comme des designers de rituels, ils font le lien entre les différents univers que l’individu doit maîtriser dans le cadre du télétravail. Se rapprochant du mentorat en de nombreux points, ils sont en charge de limiter la distance physique, opérationnelle, émotionnelle et relationnelle induite par le télétravail. Ils doivent également combattre les freins liés à cette nouvelle organisation productive : frein culturel (la confiance), frein social (la cohésion), frein organisationnel (la confidentialité) et frein humain (la remise en cause).
Le télétravail eu également pour vertu d’assouvir un besoin de localisme devenu un enjeu de survie à mesure que les mesures de confinement sont devenues quasi permanentes. La création de nouveaux îlots de socialisation professionnels a permis, en fonction des territoires, de renouer avec des notions de solidarité organique (les individus accomplissent des tâches différentes dépendantes les unes des autres pour se reproduire au sein de leur système social et/ou de proximité) ou mécanique (tout le monde doit savoir faire ce que les autres sont capables de faire). L’enjeu de la coprésence pour le télétravailleur s’est révélé être un terrain fertile pour le développement d’un nouveau rapport à l’espace (créer du lien à l’échelle locale), ouvrant la voie à un nouveau marché concurrentiel (on peut travailler de partout) entre les différentes catégories de néo-télétravailleurs :
Les sédentaires : travailleurs classiques qui ont adapté leur logement au télétravail par la création d’espaces de tranquillité pour ne pas nuire à la concentration et de zones réservées aux appels téléphoniques ou conférences audiovisuelles. Ils ont mis en place de nouvelles routines quotidiennes et font preuve de discipline afin de parvenir à télétravailler dans de bonnes conditions.
Les nomades : groupes d’individus qui ont renoncé à vivre dans un logement classique au profit d’habitats légers (van, tiny house, etc.) afin de pouvoir travailler en mobilité et de n’importe où dans le monde. Malgré un discours et un style de vie en apparence altermondialistes, ces digital nomads embrassent en réalité les valeurs du post-capitalisme : flexibilité, autonomie et relative solitude. Ils ringardisent la silicon valley et investissent de nouvelles aires géographiques comme Medellin, Budapest, ou encore l’Estonie.
Les télémigrants : la généralisation du travail à distance a favorisé le développement de la télémigration dans les pays émergents, concurrençant les salariés qualifiés des nations industrialisées. La “délocalisabilité” des emplois qualifiés grâce à la dématérialisation des emplois a précipité une inversion des rapports de force entre les pays anciennement du Nord et ceux dit du “Sud global”. Une tendance qui va continuer de s'accroître au même rythme que l'expansion des classes moyennes mondiales.
En définitif, l’attrait pour le télétravail nécessite de redéfinir les frontières sociales (porosité entre les sphères privées et professionnelles), spatiales (valorisation de l’ultra-proximité et capacité à travailler de n’importe où dans le monde) et temporelles (toujours connectés et disponibles) ; afin de tendre vers un modèle de télétravail durable. Un marché du travail où les télétravailleurs pourraient, par exemple, avoir un droit à la déconnexion numérique, sans pour autant, subir une paupérisation (vécue et/ou perçue) de leurs conditions de vie.
Le COVID-19 a fait passer le télé-travail de privilège à obligation, laissant sur le carreau bon nombre de personnes dont la profession ou l’environnement numérique n’était pas adapté à ce mode opératoire.
Si les cadres ou les professions dites “intellectuelles” ont pu rapidement passer d’un mode à l’autre, les métiers à forte dimension humaine, sociale ou manuelle ont souffert de cette digitalisation forcée. Cela risque de changer dans un futur pas si lointain.
Le MIT travaille depuis 2017, avec son projet CSAIL, à “virtualiser” les métiers manuels. En s’appuyant sur la robotique, les technologies haptiques et la réalité virtuelle, le système permet à l’opérateur de “sentir” ce que fait le robot à distance pour réaliser des tâches courantes et complexes.
Les métiers comportant beaucoup d’interactions humaines, comme enseignant ou auxiliaire de vie, ont déjà commencé à muter.
Demain, serons-nous tous entourés de robots “personnifiés”, comme dans le suggère l’artiste japonaise Etsuko Ichihara dans son projet Digital Shaman ? Ici, un robot domestique est équipé du “visage” d’un proche, et est programmé pour avoir les mêmes réactions.
Avant de remplacer tout le monde par des robots, il s’agirait déjà de remplacer les pénibles réunions zoom, peu propices au travail collaboratif.
C’est toute l’ambition de Mimesys VR, fondé par Rémi Rousseau et racheté par Magic Leap. Cette start-up est la première plateforme de réunions holographiques au monde. Imaginez le holodeck de Star Trek, en mieux.
La réalité virtuelle se diffuse en effet de plus en plus largement en entreprise, comme en témoigne la mise en place du Volkswagen Digital Reality Hub, où ingénieurs, designers et concepteurs peuvent travailler ensemble sur la création d’une voiture.
Mais au fond, si l'avènement du télé-travail ne signait pas tout simplement la fin du travail ? Et si nous pouvions nous recréer totalement, et envoyer notre réplique virtuelle travailler à notre place ?
C’était l’ambition première de Replika. A ses débuts, l’application discutait avec vous pour essayer de copier votre personnalité et ainsi créer une intelligence artificielle à votre image.
Et imaginez maintenant que vous puissiez donner à cette intelligence artificielle qui vous ressemble un corps qui vous ressemble tout autant ?
Magic Leap y travaille déjà avec ses digital humans. Il vous suffirait alors d’envoyer votre double dans toutes ces réunions et ateliers virtuels, pendant que vous profiteriez enfin de la vie.
Laissons les robots et autres intelligences artificielles travailler. Il est temps pour les humains d’abandonner la quête de productivité.
Rémi Rousseau est un pionnier de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle. Après avoir révolutionné la formation en chirurgie avec Surgevry, il s'est attaqué au travail avec Mimesys VR. Cette start-up, depuis rachetée par Magic Leap, était la première plateforme de réunions holographiques. Tout simplement.
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