Toute société est fondée sur un principe de différenciation des sexes qui permet d’organiser les institutions sociales (alliance, filiation, héritage, résidence, travail, religion, politique, etc.). L’Anthropologie par la diversité des sociétés étudiées atteste de l’extrême variabilité des caractéristiques sociales attribuées à un sexe ou à un autre, tout comme de la fragilité des frontières établies entre le “sexe social” et le “sexe biologique”. La construction des genres (du féminin ou masculin), concomitante à celle de la représentation sociale des différences entre les sexes, de la division sexuelle du travail ou encore de la codification des pratiques sexuelles, sont des éléments qui officient tels des miroirs sociétaux. Ils sont l’expression d’une culture (matérielle, symbolique) et d’une organisation sociale, qui varient d’une société à une autre. L’un des vieux rêves de l’Humanité, celui de l’annulation de la différence entre les sexes n’avait jamais été aussi proche de devenir réalité en 2030. A mesure que la vie quotidienne se développait dans les mondes virtuels (chaque individu peut avoir l’identité sexuelle (sociale, biologique) de son choix) et que les relations sexuelles n’étaient plus forcément charnelles, la dichotomie homme/femme s’est estompée au profit de celle humain/non-humain (robot, sextoys).
Les épisodes pandémiques qui se sont succédés dès 2020, ont précipité l’intégration de technologies dans les moeurs et la sexualité des populations occidentales. L’analyse rétrospective d’événements en apparence isolés, prennent un tout autre sens depuis que le contact physique, entre deux personnes pendant l’acte sexuel, est devenu une pratique marginale, voir transgressive.
Extrait des notes du carnet de terrain d’un anthropologue en 2022
“Je me souviens qu’en 2017, j’avais été invité à l’Université de Téhéran. On m’avait demandé d’exposer mes travaux sur l’incidence de la technologies dans nos vies et nos manières de concevoir le monde. Il s’agissait d’analyser l’impact des robots humanoïdes dans les rapports de genre et dans les pratiques sexuelles de demain. Le contexte était particulier : Sophia avait été le premier robot au monde à être reconnu citoyen d’un pays cette année, des poupées sexuelles programmées pour être violées étaient commercialisées et un ressortissant chinois avait même épousé un robot qui l’avait lui-même conçu… À l’époque personne ne prenait au sérieux mes recherches. Pour la communauté scientifique il s’agissait d’épiphénomènes qui n’allaient pas impacter les relations entre les sexes”.
L’arrivée d’un troisième genre technologique n’avait pas inquiété l’opinion publique. L’ouverture d’une maison close de XDolls (c’est-à-dire des poupées sexuelles en silicone) à Paris, l’année suivante non plus. Ce phénomène n’avait pourtant rien d’anodin. Non loin de rappeler l’utilité d’un “troisième sexe social” dans certaines sociétés, notamment celle Inuit, cette “créature” considérée comme n’étant ni homme ni femme, à la fois homme et femme ou “neutre” brouille les frontières entre le réel et l’irréel, entre l’humain et le non-humain, entre les hommes et les dieux.
L’intégration de technologies toujours plus pervasives dans le quotidien et même dans l’intimité des français s’inscrivait à cette époque dans une double dynamique : un secteur de la SexTech en plein révolution et une évolution des moeurs sexuelles (valorisation du polyamour, démocratisation des rencontres digitales, diminution de la fréquence des rapports sexuels chez certaines populations, développement des “assistants sexuels”, etc.). Ces nouvelles pratiques, syndrome de la montée de l’individualisme et d’une société où le contact avec l’autre devient plus contraignant (socialement, symboliquement) faisait craindre un effondrement de la sexualité en Occident, également appelé “sextinction”. Paradoxe dans une société où les prohibitions sexuelles n’avaient cessé de reculer depuis plus d’un demi-siècle.
Extrait des notes du carnet de terrain d’un anthropologue en 2025
“Depuis la première vague COVID en 2020, les changements de pratiques sexuelles se sont accélérés. La peur de la transmission du virus rappelle à de nombreux égards, un épisode sombre du XXème siècle, celui de l’épidémie du SIDA. Après une période d’anxiété face aux pratiques de séduction et aux relations éphémères, l’intégration du préservatif comme moyen d’assurer une certaine sécurité dans l’acte sexuel avait permis de (re)stabiliser les relations charnelles entre les individus…”
La société post-COVID était très différente de celle dans laquelle avait émergé le SIDA. Les stratégies d’adaptation et les réponses imaginées par les individus pour poursuivre leur sexualité, le furent également. Les individus se sont massivement tournés dès 2023 vers une “autosexualité assistée” par la technologie, une phygitalisation des rapports sexuels entre deux individus et une démocratisation des pratiques sexuelles inter-espèces (humain/non-humain). Quelque soit la stratégie adoptée, l’enjeu était toujours le même : limiter au maximum les contacts physiques entre deux individus afin de contenir la propagation du virus. Ces pratiques se voulaient provisoires afin d’inciter les individus à maintenir un minimum de relations socio-sexuelles dans une société en proie à une montée de la criminalité (inceste, viol) et de l’érémitisme de survie. En réalité, elles sont devenues la norme dès 2026. Pourquoi ? Parce qu’elles ont été perçues comme une avancée majeure dans l’acquisition des libertés sexuelles, notamment pour les genres minoritaires et les “sous-cultures (subcultures) sexuelles”. Elles représentaient une extension du domaine de la sexualité, où les frontières entre l’intimité et l’extimité se brouillent à mesure que la multi-sensorialité phygitale se perfectionne à travers des pratiques sexuelles augmentées.
Extrait des notes du carnet de terrain d’un anthropologue en 2027
“J’en venais presque à regretter le temps où en 2021 j’étudiais l’évolution des rites d’interaction, notamment dans le cadre de rencontres amoureuses physiques, initiées sur Internet. Les codes avaient changé. Les échanges digitaux pouvaient durer plusieurs mois avant la rencontre, ou même ne jamais avoir lieu. Si elles avaient lieu, le contact physique n’était pas systématique. La bise et la poignée de main étaient toujours interdites et les individus prenaient le temps de nouer une relation de confiance avant d’entrer physiquement en contact. La confiance permettait par la suite d’entamer une relation sexuelle digitale. Au fil des années, la sexualité s’était totalement hybridée et dématérialisée. Elle n’était plus digitale, mais phygitale. Les avancées technologiques aidant, il était désormais possible de pratiquer un acte sexuel avec son partenaire sans pour autant être physiquement dans le même lieu que lui…”.
La sacralisation de la santé dans nos sociétés occidentales avait précipité l’évolution des moeurs et de la sexualité en Occident : l’acte sexuel physique est même devenu un danger à combattre. Les sciences médicales se sont alliées à la SexTech afin que la jouissance (toujours entrevue comme obsession moderne) continue d’être accessible au plus grand nombre, quelque soit le type de relations sociales, amoureuses ou sexuelles pratiquées. Ainsi, l’alchimie du plaisir sexuel s’est renouvelée à mesure que les actes sexuels traditionnels (avec contact physique entre deux êtres humains) sont devenus plus rares et que l’analyse des “datasexuels” s’est perfectionnée.
Depuis 2029, les possibilités sexuelles sont presque illimitées pour les individus. L’acte de reproduction quand à lui, s’en est trouvé fortement impacté. Il est devenu le symbole de ceux qui souhaitent procréer sans pour autant avoir les ressources financières nécessaires pour avoir recours à l’insémination artificielle.
En 2030, un comité éthique s’est formé en réaction à un projet de loi qui vise à autoriser uniquement le recours aux pratiques médicales pour concevoir un enfant. Cette démarche inquiète, risquant de renforcer la fracture sociale (déjà importante) qui s’est formée à la suite de la crise économique post-COVID.
Le COVID a accéléré la dématérialisation et la virtualisation de nos interactions. Le toucher était à la limite de devenir taboo. Le sexe semblait condamner. Mais s’il y a bien un domaine où l’être humain est inventif, c’est bien celui-là.
Le “porno” évolue. Finies les vidéos répétitives et performatives, place à la sensualité… et au son. Podcast ou ASMR, à vous de choisir ce qui vous excite. La plateforme Quinn est une pionnière dans le genre.
L’expérience derrière son écran se fait même plurisensorielle. OhRoma est une extension pour casque VR un peu particulière. Créé par Camsoda, l’éditeur d’un site de webcams, il permet de “sentir” littéralement ce qui se passe à l’écran. Ce sont les hentai japonais sniffeurs de petites culottes qui vont être contents.
L’expérience devient totale, avec les combinaisons sexuelles et haptiques. Ripple est un costume pensé pour les personnes en situation de handicap, dont la sexualité peut être contrariée. Une fois enfilé, les coussins d’air de Ripple se gonflent, se dégonflent et vibrent au niveau des zones érogènes et sensibles.
Ces innovations ne sont pas réservées qu'à l'onanisme. LovePalz vous permettait ainsi de faire l'amour avec votre partenaire... à distance.
Le sexe dépasse les limites de notre réalité et de ses limitations intrinsèques. Fini le sexe à 2, place au sexe à plusieurs. Et à distance. Dans la série Sense8, je peux ressentir l’orgasme d’une autre personne. Finis les genres et la sexualité hétéronormée, qu’un épisode de Black Mirror questionne brillamment quand deux amis “mâles” se retrouvent à faire l’amour ensemble dans un jeu vidéo de combat en réalité virtuelle.
On peut faire du sexe partout et avec n'importe qui. Imaginez que vous puissiez avoir une relation à distance avec... des astronautes en orbite ! C'est ce qu'Aurélien Fache avait imaginé avec son projet "In Bed with Thomas Pesquet", où votre sextoy vibrait quand l'ISS passait au-dessus de vous.
Le sexe dépasse les limites et imaginaires humains, à l’image des avatars délurés de Second Life (oui, oui, cette plateforme créée en 2003 existe toujours) ou des mondes instagrammés de Jason Ebeyer. Et si vous créiez votre avatar sexuel dès maintenant ?
API artist, il explore de nouvelles formes de sensualités / sexualités à l'ère de la virtualité, de nouveaux imaginaires dans un monde où tout est possible : faire l'amour avec l'océan, une séance de SpaceSex, ou encore se métamorphoser en entité extra-terrestre omniprésente capable de s'acoquiner avec l'humanité toute entière. À travers ses performances et autres "bricodages", Aurélien Fache nous montre un erotica hybride, débridé, au-delà des limites biologiques de l'espèce humaine.
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