Le logement est un espace hautement symbolique, que l’on peut considérer comme hétérotopique : c’est-à-dire un lieu réel qui héberge l’imaginaire. Il représente également une séparation entre l’intérieur et l’extérieur et depuis COVID-19, une rupture entre le monde d’avant et celui d’après. Lors du premier épisode pandémique de 2020, le logement est même devenu un sociofuge, précipitant les changements de modes de vie et de consommation. Les urbanistes, quand à eux, ont dès 2021 repensé les lieux et les bâtiments publics afin de favoriser les distanciations physiques et sociales.
La morphologie des logements a également dû s’adapter à la menace permanente et invisible qui s’est installée dans la vie quotidienne, à travers l’injonction à la désinfection/purification à l’entrée des habitations. En ce sens, deux stratégies bâtimentaires ont été mises en place. L’une dite de “rénovation” avec une adaptation des nouvelles contraintes à l’existant et l’autre dite de “reconstruction” avec l’intégration des normes de purification aux nouvelles construction.
Ces changements contraints de modes d’habiter visaient à intégrer les pratiques dites “sanito-réglementaires” dans les espaces domestiques de “transition” (vestibule en Europe, genkan (玄関) au Japon). Pour atteindre cet objectif, les professionnels du bâtiment ont mis en place un indice de purification symbolique, en quelque sorte un outil d’aide à la décision pour l’agencement du néo-vestibule (ou sas post-COVID-19) et de son intégration durable dans les pratiques de tous les jours. Ce système prend en considération différentes dimensions spatio-symboliques :
Système de classification de la saleté : de l’invisible au visible ;
Système de classification de la pollution : de l’air, des surfaces, de la peau ;
Système de classification des objets nécessaires : placard de déconfinement des vêtements portés à l’extérieur, cabinet de toilette-désinfection, espace de stockage pour les produits non-périssables jusqu’à disparition des traces éventuelles des virus, mise à disposition des réserves de masques, gants et gel hydro alcooliques, etc.
Système de sécurité minimum : raccordement aux évacuations, système de filtration et/ou purification de l’air, cloisons et menuiseries étanches, ouvertures et fermetures des portes du sas et du logement différenciées, etc.
Pour s’adapter à la diversité des habitats (collectifs, individuels) et à la disparité de leur densité en fonction des territoires, les professionnels du logement ont également établi des corrélations entre les seuils (fenêtre, porte), les espaces de transition ou zone intermédiaire (vestibules, sas, antichambres, corridors, halls ou cours d'entrée), les relations entre les espaces familiaux, collectifs et publics, et les conditions socio-symboliques de l’appropriation de ces nouveaux espaces et des pratiques de purification associées.
La prise en considération de l’ensemble de ces variables a permis la création d’une diversité de sas-type :
Création de sas commun dans les espaces de dégagement (couleurs centraux des immeubles, par exemple), adaptation des buanderies d’immeubles, des locaux à poubelles ou des caves quand la surface habitable était trop restreinte ;
Création de “kits” de 5 à 6 m2 qui s’installent à l’entrée des habitations individuelles, comme l’installation d’un véranda par exemple ;
Création d’un vestibule qui sépare l’entrée du reste du logement par l’installation de cloisons légères lorsque l’espace de vie restant est suffisant dans la pièce à vivre.
De nouvelles pratiques collectives se sont également développées afin de prévenir les risques de contamination dans les parties communes des habitats collectifs : désinfection hebdomadaire, mise à disposition d’équipements professionnels pour le lavage des surfaces et des objets, etc.
Du logement le plus classique aux habitats les plus atypiques (Cité Radieuse, bidonvilles, Auroville, etc), les populations ont fait preuve d’inventivité pour adapter leurs modes de vie et leurs habitats aux nouvelles contraintes sanitaires engendrées par COVID-19.
Dans le 5ème élément, Luc Besson imaginait nos logements futurs comme des sortes de cabine de bateau en plastique qui se nettoyait automatiquement. Une réponse viable à nos nouveaux impératifs d’hygiène ?
Avec la pandémie du COVD-19, le monde extérieur redevient une menace tangible. De manière plus large, les impacts de l’anthropocène transforment notre rapport à l’habitat. Entre la pollution, les vagues de chaleur extrêmes ou les épidémies, nos foyers retrouvent leur fonction première : nous protéger.
Le monde du design est le premier à s’en être emparé, transformant nos objets du quotidien en agents décontaminants. Dans le cadre du projet spéculatif “Create Cures”, Franck Chou a imaginé une lampe stérilisante qui élimine les agents pathogènes de nos entrées en 60 secondes grâce aux ultraviolets.
Le rideau Gunrid est lui déjà disponible en magasin. Lancé par IKEA, il purifie l’air intérieur grâce à son revêtement à base de minéraux qui décomposent les polluants. Pas si bête quand on sait que l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que l'intérieur de nos maisons était davantage pollué que l'extérieur.
Ce type de design est dit “inconscient”. Ces objets s’intègrent dans le quotidien des utilisateurs sans le bousculer. Quand sera-t-il quand les impacts du capitalocène seront devenus trop présents ?
À titre d'illustration paroxystique, le studio de design Superflux a créé "Mitigation of shock", une installation qui reproduit l'intérieur d'une maison en 2219. On peut par exemple y voir un kayak près de la porte, très utile pour faire les courses après l'inévitable montée des eaux. Des livres survivalistes sur les étagères aux plantes cultivées en micro-serres "do-it-yourself", Mitigation of shock nous montre une situation de logement axée sur les besoins et l'auto-suffisance, une forme de bunker "design".
Cette approche de nos habitats est “défensive”. Pourrions-nous construire des espaces de vie “proactifs”, ayant un impact positif sur notre environnement ?
Car la question de notre habitat doit aller au-delà d'une architecture des abris. Elle demande à ce que nous ré-évaluions nos interactions entre l’intérieur et l’extérieur. Littéralement.
Nous devons passer d’une logique de protection à une logique de symbiose. Philips Design a imaginé la maison microbienne dans cette optique. Au lieu d'avoir une maison totalement aseptisée, les designers adoptent une approche symbiotique de l'habitat où nos intérieurs deviennent des abris pour les bactéries positives. Dans cette maison très organique, les déchets de cuisine se transforment en ressources énergétiques et la salle de bains se réinvente en oracle médicinal.
La tâche d'un architecte semblait être toujours la même : concevoir un espace pour les humains qui l'habitent. Mais les architectes ont maintenant une nouvelle tâche à accomplir : concevoir un espace pour TOUT ce qui l'habite. Comme les bactéries.
Il s’agit ici de faire plus que du design biophilique (intégration de la nature dans mon habitat) ou du biomimétisme (imitation des processus naturels). L’agence XTU architects parle d’architecture holocène, une architecture où nos espaces de vie sont des prolongements naturels de l’ecosystème ambiant.
Le COVID-19 fait ressurgir les conceptions survivalistes de l'habitat, transformant nos maisons en bunkers hygiénistes. Le réchauffement climatique semble condamner nos habitations à n'être que des refuges temporaires. Si paradoxale soit cette conclusion, notre survie va dépendre de notre capacité à ouvrir notre habitat vers l'extérieur, vers l'autre, vers la nature, vers les bactéries, et le transformer en ecosystème positif, résistant aux environnements versatiles et extrêmes.